vendredi 25 novembre 2016

Slam

Eh bien ... je me suis essayé au slam. Expérience étrange. Assez enrichissante. Monter sur scène, et porter sa voix. Cela partait d'un défi lancé subitement. Et j'ai écrit quelque chose à la hâte; en reprenant des thèmes, des images, des situations que vous, lectrices et lecteurs qui me suivez, reconnaîtrez sans doute. Hélas, je ne suis pas très fière de ce texte. D'abord, parce que je n'ai pas osé, le soir de la représentation, y apposer mon vrai nom, Scons Dut. Puis, parce qu'il m'apparait comme un ensemble rapiécé, cousu d'étoffes disparates, qui, prises isolément scintille peut-être, mais ensemble ... offrent une allure carnavalesque, répétée tant de fois déjà, exsangue et vampirisée (heautontimoroumenos ...). Et puis, surtout, la déclamation exige une forme différente. On ne versifie pas pour l'oreille comme pour l'oeil. Et il ne faut pas faire de théâtre. Pour cette première expérience, j'ai voulu éviter ce qui me semble être un écueil trop peu évité parmi le maigre échantillon de slameurs que j'ai pu écouter : la surmultiplication de rimes, assonances, allitérations, internes, et répétitions. Je comprend bien l'aspect incantatoire que ce procédé d'écriture peut fournir, et l'espèce de transe qu'elle suscite. Mais il y a toujours ce risque du dévoiement, de la perte d'intensité, comme un fleuve qui atteignant son delta s'affaiblit de tant de ramifications.

(il n'y a bien que L qui, empruntant cette voie, m'émeut pourtant; mais sa bouche en puit, si bien au-dessus de son coeur, chante un très puissant fleuve ... ô ivresse ...)

Évitant Charybde, je tombe en Scylla : le timbre prosaïque. Il y a toujours à la frontière de la simplicité formelle, le précipice de la fadeur. Il faudra, si je m'y essaie à nouveau, une autre forme. Surtout lorsque je prétend célébrer les galantes fêtes de l'Amour. La cible n'est pas tout à fait atteinte, mais les prochains pas le long de la voie m'ont été montrés. Nous verrons.

*

Bonsoir.
C'est la première fois que je ... slam (c'est comme ça qu'on dit ?)
Alors, je ne sais pas trop quoi dire.
Ah! ... je pourrais, si ça vous dit, vous parler d'Amour, de ses ... flammes.
Je ferai de mon mieux, je contiendrai, comme je peux, le blanc délire.

À vrai dire, je ne me sens pas très bien ...
Ma voix, comme un écho, faiblit
Je sais, ça n'a l'air de rien
Mais la fatigue me gagne et cette estrade fait un bien mauvais lit.
Il faut pourtant que je tienne droit, ou bien ...
faire comme Ulysse convié au manoir du noble Anténor; vous connaissez la scène ?
Ménélas fit le premier un beau discours,
Mais quand se leva Ulysse le subtil
Il se tint d'abord immobile, les yeux fixés sur le sol,
Sans remuer son micro, ni en avant, ni en arrière;
Il le gardait tout droit, comme un homme hébété;
On l'aurait cru quelqu'un qui s'est fâché, ou qui est sot.
Mais quand, de sa poitrine il laissa sortir sa grande voix,
Et des mots pareils à des flocons de neige en hiver,
Alors personne avec Ulysse n'aurait pu rivaliser,
Et ce n'était plus l'allure d'Ulysse qui étonnait la foule.

[extrait modifié pour la circonstance de l'Iliade, III, v. 216-224, trad. Jean-Louis Backès]

Ah ... des mots pareils à des flocons de neige en hiver
Ah oui ça c'est beau, ça c'est une image glorieuse
Mais moi, chère audience, là devant toi, et tes beaux yeux pers
Ce qui sort de ma bouche n'est que salive, tempête baveuse.

Alors comment faire ? Quoi dire ? Quel charme appliquer ?
Faut-il que j'invoque une Muse ? que j'emprunte l'illustre verbe de Melpomène ?
Rah fils d'Aphrodite, vois ton oeuvre, mon coeur de tes flèches piqué !
Et la honte, et le feu sous ma peau,
     et, comme Sappho, je brûle sous ton regard amène.

Las! trop tard, les images ont surgi,
je suis aveugle,
je vois l'arrière-monde, l'interstice,
ses peuples fantômes de boeufs qui meuglent,
et l'éternel supplice
Je vois le miel jaillir comme l'amant
des ruches de l'Hymette, et gonfler les ruisseaux.
Je vois les racines éclatantes de sève,
Je vois tonner et tonner encore
la lourde la vaste l'insondable clameur des fleurs.

Voyez!
le tumulte d'ailes blanches zébrer le ciel,
s'ébrouer d'iridescents élytres,
et des anges électres sabrés d'alcools,
Un peuple magmoïde fuyant la bouteille volcanique
Se répandre sur la pierre torride
un lourd litre de miel.

Tout n'est que vitesse,
tout de tes flèches est percé,
Tout fuit comme une liesse
et le monde, de tant d'amour blessé,
comme un encensoir d'Icare,
s'allège,
s'élève
et plus près du soleil s'égare.

Hélas, quel soleil fit fondre la cire de toutes ces ailes ? Je ne sais pas.
Mais, le monde, comme une pierre froide, enfin sombre
dans l'ineffable nuit,
longue nuit d'oubli.
Un sommeil en lambeau
à la forêt de tes cils
Près d'un lac de cornée
Il pleut dans ta pupille
une nuit blanche
comme un océan de lait.

Et depuis, roule sur cette buée  une tempête
vide de battements, sans rime valeureuse,
sauf peut-être la bouche idiote d'un ridicule poëte,
qui répand sa pluie idiote, ridicule et baveuse.

J'en ai peut-être trop dit.
Il faut maintenant déposer la lance,
Et mon bouclier près de moi témoigne du lit,
Où j'épouserai le sommeil en robe de silence.

sd bramante

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