mardi 27 juin 2017

Sorcière

Alors là, alors là,
Non, mais je m'attendais à tout
Non mais, à tout !

SAUF À ÇA.

J'ai presque besoin de toutes mes maigres ressources littéraires pour vous raconter ça. Ça. Ça vaut le détour, m'est avis.

C'est l'histoire du plus tendre geste qu'une mère puisse tirer aux oreilles de son enfant!

Ma mère est une sorcière.

Ma mère est une sorcière depuis que je suis toute petite. (Je suis l'aînée.) Et elle m'a toujours fasciné. Elle m'a toujours terrifié.
Πολλὰ τὰ δεινὰ κοὐδὲν μητηροὺ μοὺ δεινότερον πέλει !!

(que l'Académie me pardonne, ma grammaire a succombé au poids du cri !)


Contexte. Depuis un an, depuis ma séparation avec F., je suis la route, déclivité sereine, attendue de la décadence feutrée. C'est subtil, très subtil comme pente. Une pente douce comme une pêche de vigne. Je n'avais pas fini de tâter de la langue la perle d'ambre à sa peau que

BOUM ! Me voilà au Delta du Nil. Et mon sang, comme lui, connait comme ses frères
Alcool, Tabac, Cannabis, Cocaïne, MDMA, GHB etc. et ... la reine d'entre Toutes: LSD.
(Cocasserie de l'univers, je suis tombé amoureuse de L, qui est l'unique lettre manquante à mes initiales SD pour former ... un paradis artificiel)

Ma mère est une sorcière. Et toujours, je l'ai approché méfiante. Je lui ai tout caché. Mes premières cuites, mes premiers bisous, mes premières pipettes de paka (googlez, vous trouverez bien vite), etc.

J'ai quitté le foyer familial à 18 ans. Pour, comme beaucoup, venir étudier en France métropolitaine. 20 000 km. Voilà, une distance bien suffisante. Il s'est passé ce qui s'est passé ensuite (mon histoire avec F., les cancers de ma mère, les morts, etc.). Bref! Plus vite plus vite, pcq ça urge.

Aujourd'hui, cela faisait, je ne sais plus, 5 ou 6 mois (1 an ??) que je n'avais pas eu ma mère au téléphone. Elle a rêvé de moi cette semaine. Deux fois. Elle a rêvé que j'étais complètement "shootée". Ce sont ses mots.

Ô douce Maman
Si douce Maman
Cela prouve ton innocence
Depuis bien longtemps, on ne dit plus "shootée".
On dit "DÉFONCÉE".

Elle m'a demandé si je me droguais. Elle qui ne sait même pas que j'ai fumé une cigarette de son paquet quand j'avais 13 ou 14 ans. Elle m'a dit:

« Ma fille, répond-moi, très sincèrement
   – et il y avait tant de détresse dans sa voix –
Ma fille, répond-moi, est-ce que tu te drogues ? »
.
.
.
.
.
.
.
.
« Non, maman. » Et j'ai raccroché. Puis j'ai sorti la fiole.

*

Marquons une pause. Car je suppose, peu d'entre vous connaissent les effets du LSD. C'est, après tout ce que j'ai essayé, la plus subtile des drogues, la plus intriguante, la plus mystérieuse, celle qui peut vous apporter le plus, et par conséquent, vous détruire le plus. Contrairement à la MD, ce n'est pas une drogue pour les enfants.

Sa vertu principale est l'extrême concentration qu'elle procure. Imaginez une lance à incendie. En temps normal, vous êtes un tuyau d'arrosage. Sur la grande L, vous êtes une lance à incendie. Mais ce n'est pas de l'eau que vous projetez. C'est une sorte de substance unificatrice.

Quel que soit le point où vous vous concentrez, toutes les contingences s'ordonnent, comme un kaléidoscope, et forment une unité si flagrante qu'on ne s'étonne plus de la foule des faux prophètes qui y ont succombé.

Les stimuli visuels par exemple. Ce sont des stimuli bien réels. Et en temps normal, vous les apercevez très facilement. Par exemple, ces espèces de larves asticotaires quand vous scrutez le fond de vos paupières orangées par l'estival soleil. En temps normal, tout cela ne forme que bruit. Mais, sous L, vous saisissez des occurences, une multitude de καιροί, et alors naissent les hallucinations. Hallucinations qui ne sont l'ordonnancement par je ne sais quel partie du moi de l'ensemble disparate, confus, de ces stimuli. Notez au passage, que décrit ainsi, on peut dire la même chose de la Réalité. Et voilà, voilà, le noeud gordien entre l'Halluciné et le Réel-Perçu.

Là, je n'évoque que les stimuli visuels. Ce ne sont encore là que des jeux. On peut dire la même chose des stimuli auditifs, olfactifs, haptiques, etc. Et si vous voulez jouer encore un peu, considérez vos sens simultanément. Alors, viennent les hallucinations Synesthésiques. Voir les sons. Entendre les couleurs. Ce n'est pas plus impressionnant qu'applaudir en cadence.

Ensuite, viennent des choses plus sérieuses. Lorsque vous appliquez cette lance à incendie sur vous même. (Eh quoi ? Vous brûlez ?) Sur tel ou tel fragment de vie. Tel ou tel souvenir. Si, comme moi, vous avez une certaine propension à raconter des histoires, alors TOUT fait sens. Toutes choses, tout détail, s'insère dans une trame narrative. Vous en saisissez l'unité.

(Lance à incendie sur buisson ardent; il en sort de grandes tables)

Pire.

Vous retournez la chose. Et saisissez plusieurs unités. Toutes équivalentes. Autant d'histoires, comme ces faisceaux cohérents chers aux géomètres, sur le même germe. Ce minuscule détail de votre minuscule vie. Mon viol. Mon premier bisou. F. L. etc.

Pire.

Vous pouvez pénétrer très intimement chacun de ces univers. Ces petites monades. Si intimement, que vous oubliez même comment vous y êtes entrés (ah ! mais où est la sortie ?! ah ! mais si je sors de ce monde, quel monde vais-je rejoindre ? oh merde, attend, c'est ma chambre, ou c'est ma chambre ou c'est ma chambre ou c'est ma chambre ou c'est ma chambre ou c'est ma chambre, 



Je risque gros en fait). 

Et voilà. Ceci est un bad trip.

**

Ma mère est une sorcière.
Πολλὰ τὰ δεινὰ κοὐδὲν μητηροὺ μοὺ δεινότερον πέλει !!
Voyez comment.

ma mère
J'ai grandi ici.


C'est beau, n'est-ce pas ? Et là, là, faites très attention, c'est l'arbre où, suspendue à ma balançoire, je m'enivrais de l'ignorance de ce qui m'arrivera plus tard (aka, joie de l'enfance).


Cet arbre pousse très près de notre maison. Alors régulièrement, il faut l'élaguer. Sinon, les intempéries pourraient corrompre quelques branches trop épaisses pour notre toit. Il y a cinq ans, je crois, ma mère avait donc fait élaguer ce bel arbre. Il fallait couper une branche importante. Mmmh choix difficile pour un arbre si sacré. Elle récupéra cette branche, le confia à un ami sculpteur, qui en fit l'instrument-tiki que vous avez vu, sur la première photo. Elle me le donna, en ajoutant «Ma fille, il veillera sur toi.». Forcément, je répondis «ouais ouais».

Eh bien. Il y a une importance du petit mythe que certaines personnes, douées on ne sait comment, sont capables de produire. J'ai gardé cet instrument-tiki. Et j'ai gardé son histoire. Et les souvenirs qui vont avec. Et le chauderon où ma mère instilla, je ne sais comment, les épices qui allaient ramener, comme Obélix vers son sanglier, sa fille au foyer.

Cet après-midi, je me suis jeté dans un bad trip. Je dis bien jeter. Ce n'était pas un accident. J'ai volontairement pris une surdose. J'aurais pu à tout moment la calmer en mangeant beaucoup (la digestion brise la molécule), ou en buvant (l'alcool dissout la molécule). Je n'ai mangé que très peu. Je n'ai bu que de l'eau. Pour éviter l'évanouissement. Pour endurer. Pour finalement regretter. Mais là c'est trop tard.

On atteint des régions du tourment ... je ne sais même pas comment en parler. Il me semble que toute l'Iliade, toute l'Odyssée, pourraient en découler. Et il y a des beautés dans ces régions ! Calypso ... je crois bien l'avoir aperçue (ou bien, est-ce encore une histoire que je me/vous raconte ?).

De l'extérieur (car on garde en plus cet oeil extérieur à partir duquel on se juge permanément), c'est pitoyable : à demi-nue, sur le sol de son appartement, jonchée de clopes volées au voisin, pire ! le Zarathoustra de Nietzsche juste à côté !! (non mais ce cliché quoi !). Heureusement, j'avais le tome I d'O. Messiaen, celui qui traite du rythme.

Scène reconstituée.
Et là. Eh bien, je me rappelle ce petit mythe familial. J'ai le tiki sous les yeux. Sous les mains. Je le prend. Avec la pointe, je marque un rythme sur sa peau. Ce rythme est doux à mes oreilles. Un chant de grand-mère sous l'ourlet des vagues du lagon où j'ai grandi. Il a des yeux ce tiki. Il a un visage ce tiki. Il incarne ma mère.

AAAaaaaahh ! Sorcière ! ma si adorée sorcière !

Et voilà le sort est jeté ! Ce mythe me submerge. Ce tiki est ma mère. Il est dans mon appartement. Ma mère voit mon appartement.


Et ...... merde, merde, j'ai pas fait mon lit ! La vaisselle, vite... ouf, ça va je l'avais faite. Et merde, merde, que je cache ces clopes. Et la boîte de Pandore, faut pas que Maman la voit !

et merde merde, je vais m'en prendre une, elle va faire tellement mal ... là pour le coup, je l'aurais bien cherchée.

***

Alors ? Évidemment, tout ceci est brodé d'histoires. On ne sait plus tout à fait distinguer le vrai du faux. Ma mère est-elle réellement une sorcière ? Mais comment a-t-elle fait ce rêve ? Et comment depuis toutes ces années a-t-elle pu construire une histoire qui me sauvera aujourd'hui ?


Une dernière chose. Mon prénom. Mon vrai prénom. Même à Tahiti, il est rare. Et on s'est moqué de moi à l'école à cause de sa rareté. Même à Tahiti. 

Et je ne le dirai pas ici, car 1. vous connaissez mes habitudes quant à mon anonymat, et 2. je fais de mon nom un nom sacré, tabou. (privilège du Créateur). Mais depuis toute petite déjà, ma mère me rassurait. Et voici le message qu'elle m'a envoyée aujourd'hui, à 19:00. (je masque l'inessentiel)

« Mettre de l'ordre dans sa maison, c'est aussi mettre de l'ordre dans sa vie ! Je t'aime ma fille et je te demande pardon pour avoir été trop agressive envers toi hier au tél [ce matin pour moi, -12h de décalage horaire]. Je me faisais du souci pour toi. N'oublie pas que tes Ancêtres veillent sur toi et quoiqu'il t'arrive de fâcheux, pense à leur demander de l'aide. Ils sont nombreux autour de toi à t'aider. Si seulement tu pouvais prendre conscience du Mana qui est en toi, Enfant Royal que tu es, portant un prénom qui n'est pas des moindres ***** grand guerrier qui arrivait toujours à se redresser et à gagner tous ses combats. Fais honneur à ce nom royal. Sois combattive et surtout aie une grande confiance (une foi) en toi. Ta maman qui ne cesse de veiller sur toi. »

Je le reproduis ainsi. Je vous présente ma mère. Vous avez-vu ? Vous reconnaissez pas les prémices du délire ? C'est ma mère. Ne vous moquez pas. Ces paroles, aussi mièvres qu'elles puissent être, pourraient vous toucher beaucoup plus profondément que vous ne le croyez.

Ma mère, comme toutes les mères, est une sorcière. Comme toutes les mères, deinoteron parmi les sorcières.

sd reconnaissante

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