mercredi 30 avril 2014

Les Pages Ratées : Saint-John Perse

J'inaugure une nouvelle série de billets consacrées aux pages ratées de grands Littérateurs. Le principe est simple: je choisis un texte que j'estime être raté, et j'en propose une version nettement améliorée. Pour aujourd'hui, j'ai choisi un texte de Saint-John Perse, étonnamment lamentable.

Les viandes grillent en plein vent, les sauces se composent
et la fumée remonte les chemins à vifs, et rejoint qui marchait.
Alors, le Songeur aux joues sales
se tire
d'un vieux songe tout rayé de violence, de ruses et d'éclats,
et orné de sueurs, vers l'odeur de la viande
il descend
comme une femme qui traîne: ses toiles, tout son linge et ses cheveux défaits.

Éloges, I, Saint-John Perse

Comme ma lectrice, ou mon lecteur, l'aura remarqué, ce poème est grévé d'une multitude d'erreurs, d'approximations hasardeuses et, surtout, d'un manque de clarté ahurissant. D'abord, l'auteur nous dit que des viandes grillent en plein vent, sans jamais nous indiquer le mode exact de cuisson ! Et ce n'est que par des détours épuisants que le lecteur devine qu'il s'agit vraisemblablement d'un barbecue. 

Ensuite, "les sauces se composent" n'est tout simplement pas possible physiquement. Le poète aurait pu indiquer qu'un cuisinier préparent ces sauces. Et à supposer que le cuisinier est seul, cela signifie qu'il s'occupe à la fois du barbecue et des sauces: tâche difficile ! Tout cuisinier digne de ce nom ne prépare pas ses sauces pendant la cuisson de sa viande - sauf peut-être dans le cas de côtelettes d'agneau, mais l'auteur a oublié d'indiquer la nature de la viande (nouvelle erreur).

Puis, en ce qui concerne la fumée remontant les chemins à vifs et rejoignant des marcheurs, là aussi, le poète ne dit pas que c'est le vent qui pousse la fumée, le poète ne dit pas la forme des chemins, et le nombre de marcheurs. On ne sait même pas s'il y a vraiment des marcheurs ! Tout juste peut-on supposer que les chemins sont pentus, le barbecue se situant au bas de ces chemins.

Ensuite, sans même prendre la peine d'indiquer le changement de point de vue qui va s'opérer, le poète nous montre une personne sortant de sa sieste, et s'attarde sur des détails qui obscurcissent le sujet principal, c'est-à-dire, la viande. On apprend alors que le dormeur est sale, plein de sueurs, et qu'il a rêvé de choses assez violentes; bref, choses inutiles. Car, finalement, ce qui intéresse ce personnage, c'est, comme nous, la viande, puisqu'on apprend qu'il descend vers celle-ci. Enfin, était-il nécessaire d'ajouter qu'il ressemble à une femme qui traîne, sous prétexte que son linge et ses cheveux sont défaits ?

Tenez, pendant que j'y pense, il est tout à fait étrange que le poète soit si peu instruit des règles typographiques au point de sauter des lignes n'importe où et de mettre une majuscule à songeur.

Voici maintenant la version que je propose et qui comblera, je l'espère, les lacunes décrites précédemment.

Le cuisinier fait griller des côtelettes d'agneau sur son barbecue, et préparent les sauces en même temps. Le barbecue est situé au bas d'une allée, et la fumée de la viande remonte le chemin de sorte que les quelques personnes qui y marchent peuvent la sentir. Alors, quelqu'un qui faisait la sieste, est réveillé par l'odeur de la viande, et descend pour rejoindre le cuisinier près de son barbecue.

N'est-ce pas beaucoup plus joli ?

Scons Dut

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