jeudi 17 avril 2014

Musique et Poésie (via S.-J. Perse)

En parcourant les documents grâcieusement fournis par le site www.sjperse.org, j'ai découvert un texte très intéressant de Saint-John Perse à propos de la nécessaire distinction entre le propre musical et le propre poétique. Il s'agit d'un extrait d'une lettre du poète adressée à Jacques Rivière du 8 juillet 1910.

« J'ai dû m'exprimer bien maladroitement pour que vous ayez pu, un instant, me croire désireux de confondre les deux méthodes musicale et verbale. Je n'aurais, certes, jamais idée de dénier au poème un mystérieux "concours" musical (s'il n'est pas préassigné) : l'inconsciente utilisation du timbre verbal et la distribution même ou "composition" de toute une masse aussitôt qu'elle vit. Mais je n'admettrai jamais que le poème puisse un instant échapper à sa loi propre qui est le thème "intelligible". L'art d'écrire, qui est l'art de nommer, ou plus lointainement de désigner, n'aura jamais d'autre fonction que le mot, cette société déjà, et qui se grève encore du sens étymologique. Je ne vois là qu'un art analytique, la matière verbale la plus musicale férocement astreinte, en premier lieu ou en dernier, aux lois particulières de "propriétés". (Et la propriété eut-elle jamais rien d'assimilable à la justesse en musique ?) Cette confusion, qui était bonne à une génération demi-musicienne, a trop souvent avachi notre langue dans le goût de l'à-peu-près. Au fond, il faut n'aimer pas la musique, le pouvoir prodigieux d'un tel art, pour ne pas comprendre ce qu'il a d'irréductible et d'inasservissable. Du jour où l'on ne croit pas éviter un tel piège, il n'y a qu'à s'adonner tout bonnement à la seule musique. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire