vendredi 11 avril 2014

Tyrogonie

Edmon
Qui tombe tombe deux fois ...

Le voici donc, Edmon, l'être qui a pour visage un miroir d'une année de côté. L'être qu'on voit mais qu'on ne peut regarder, abyme de tous les êtres. Qui est-il ? Femme, Homme, Amibe ?  En quel temps, s'il n'est le temps, est-il né, l'être au nez brisé ?  Toutes les questions des amoureux, ses prétendants, de Joboah, le deuxième, c'est ici qu'ον nous répond. Lui l'an Zéro, est né au pays Noétique, en l'année ronde, son nom l'indique.  Le mirroir d'abord, car c'est le Verbe, la surface qui vient avant l'intérieur, avant l'extérieur, la surface qui réfléchit. Le Je du prince, premier des êtres, le Je des autres, et c'est le même. Il est né n'ayant qu'une seule face, et la lumière revenante révéla la seconde.

Edmon n'est pas lisse, il a chuté, on l'a poussé, il est seul ! et alors ?! Il s'est brisé, comme un oeuf. L'effroyable souffrance du premier être qu'éprouve la première douleur. Le crime pèse et ouvre l'histoire de cet être, devenu Anthrope, brisé par la honte de s'être vu se voyant se voir se voyant vu par lui se voyant voir lui-même. Il avait grandi sa main pour toucher l'image, et se toucha, lui, l'image de l'image, et se poussa hors de son côté, et tomba de l'autre côté. Et se brisa.  C'est décidé, il se vengera.

Joboah, son amant, rapporte ici l'histoire de l'Edmon, l'univers de l'Anthrope au nez brisé par lui l'être pousseur qui tua et se vengera. Car il n'est plus seul, puisqu'il est brisé. Les parcelles d'Edmon sont autant d'Edmon, mais voici venir la plus féroce, celle qui se nomma avant toutes les autres.

Versuni

Ô comme elle est belle
La douce Versuni.
Ô combien je veux
Sa pure transparence.
Qui ôte ses ailes
À cet ange infini ?
Qui souffre le feu
Et qui hurle Vengeance !

La voici donc,  Versuni, l'être d'un débris ôté au visage d'Edmon. Elle est la gauche de celui qui est droit, l'être qu'on regarde mais qu'on ne voit pas, sombre ciel sur tous les êtres.  Elle porte en son sein l'azur désinvolture. C'est qu'étant transparence, elle est toute entière nue, elle, l'être sans couleur.  Ce qu'elle enlève au surface, elle le rend en volume.  De la peau miroir du prince Edmon, elle fit l'épaisseur de l'espace et du temps.  Elle fait pour la lumière une formidable prison, pièce close sans mur où les voyages sont libres. Edmon qui était le point n'est plus qu'un centre parmi les centres du sein de Versuni, maintenant l'enveloppe du premier des êtres, de l'être au nez brisé. Le singulier est mort en pluriel.  Et c'est elle qui en est la cause !  

Mais c'est qu'elle l'aime, le bel Edmon, depuis le début, elle l'aime. Et lui, le fou, le traître ne l'a pas vu. Il avait grandi sa main pour l'approcher. C'est elle qu'il voulait toucher. Lorsque son doigt, index d'airain, vint la toucher, l'étincelle les firent tomber. L'effroyable poids du premier être qu'éprouve la première pudeur. Elle, qui était lui, qui s'entendait entendant s'entendre s'entendant entendu par elle s'entendant entendre elle-même.  Pour couvrir son coeur, elle fait une nuit. Son coeur, c'est l'Anthrope, ce traître, ce fou. Et elle l'enveloppe, l'étreint et s'étend, pour qu'aucune autre parcelle, du corps d'Edmon, n'échappe à son filet d'espace et de temps. C'est décidé, elle ne lâchera pas.

Joboah, son tendre ami, rapporte l'histoire de la belle Versuni, la plus douce des parcelles tombée par lui, l'être au nez brisé. Lui, qui maintenant est prisonnier de l'infini, et elle, transparente, gardienne de la nuit; ils s'aiment ! enfin ! d'un amour soleil, pomme d'ombre et de lumière, qui, chaque jour, chante le matin et le soir meurt, assassiné. Mais qui tuent l'astre revenant ?! Des deux plus grand morceaux de la coquille brisée, sont sortis, elles sont étincelantes, quatre armées des terres et des eaux, des feux et des vents.

Moi, l'armée des airs
Qui siffle dans les cages
Je suis le fil de rage
Où pendent les mères !
Moi, l'armée des flammes
Qui brûle dans vos coeurs
J'arrache le bonheur
Et mange vos âmes !
Moi, l'armée liquide
Qui coule vos vaisseaux
Je vous noie vermisseaux
dans des boues putrides !
Moi, l'armée d'acier
Qui creuse les cavernes
Je jette dans vos cernes
Vos corps émaciés !

Ô trembler, il faut trembler ! Voici venir le fils tueur de père et tueur de mère, mangeur de frère, le rejeton des éléments. Les quatre armées, elles sont étincelantes, l'ont engendré. Il porte en lui la brisure originelle. Des deux plus grands morceaux de la coquille brisée, il s'est fait un corps et une âme qui jamais, diaboliques, ne se regardent. Pour former son corps, ils mélangèrent l'acier des cavernes aux fanges des vers. Pour gonfler son âme, ils soufflèrent ensemble les flammes de la haine et les vents de la fureur.  Il est la lutte constante des quatre armées du globe. Il est monstre de discorde, bête de l'immonde. Chaque région de son être renferme, il est putride, le fiel des vessies et l'immondice intestin. Tout y est panse, feuillet et caillette.  Tout est mâché, ruiné et rejeté. Ses bouches, gouffres affreux, engloutissent ruisseaux et mers, et vomissent fleuves et océans. Son être coagule, comme le sang à l'air frais. Mille vers le rongent, petits léviathans, et rejettent, repas de demain, leur repas de la veille.  Sa masse n'est pas dense, il ne connaît pas le plein. Cavernes et cratères sont les yeux de cet être, et dans ces immenses gouffres, et dans d'immenses vasques, on voit ronfler, terribles sont ces soeurs, poisons et venins.

Tout en lui poursuit la guerre des quatres armées qui furent ses mères. Par l'armée des terres et l'armée des eaux, elles sont mercure et alcool, lui, l'être perfide, est pâte dur et pâte molle. Par l'armée des flammes et l'armée des vents, elles sont furieuses, résident les béances et les pestilences.  Il mêle au lait de sa chair, le sang des chenilles, et, prince de présure, les mâchent en bouillie. Son souffle tiède, son souffle fétide, pend en long filet sa salive humide.  Il est l'horrible et l'insondable, l'ombre infinie du pays des contraires. Ce qui est oui y devient non, au dur succède le mou, on y confond le blanc et l'écarlate, et le coeur avec la rate.

Cet être, c'est le Galactre, l'infâme fromage des temps anciens et des temps futurs.  Ses fils seront pendus, et ses fils chanteront. En longues viscères tordues, on les verra sourire sur les étals des marchands. Il est l'ulcère de tous les ulcères. Il est tueur de père et tueur de mère. Il broie dans sa caséité les amours soleils et les divinités.  Il tue chaque jour la pomme de lumière, et y insère toujours plus gros, le ver de l'ombre. Ô comme je vois maintenant briller, en lettres de fourmes, le nom du galactre, le nom de ce fourbe, le monstre de lait et la bête de sang. Il hurle maintenant, il faut l'entendre, c'est le Tyron !

Scons Dut

NDLR: Le Galactre est un monstre   de la mythologie du pays des Gnolins. Il est généralement représenté sous forme de gruyère, bien que le gruyère ne soit pas à l'origine   un fromage de cette région. La légende veut qu'à chaque fois qu'un   de ses trous est comblé, deux autres s'ouvrent.


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