mercredi 20 août 2014

Harangue

Chère lectrice, cher lecteur,

Aujourd'hui n'est pas tout à fait commun aux autres jours qui jalonnent et jalonneront mon existence. Car, aujourd'hui, je prends un risque. Ma lâcheté, cependant, m'impose de ne point revêtir la même voix qu'à votre habitude. Aussi, emprunterai-je le titre pleutre et grossier d'une ancienne mâle rencontre, Tyron. Il va de soi que le lui rendrai en temps, et en heure. Car, on suffoque sous la face hirsute d'un ours assassiné à l'instant.
S. D.

Harangue

(Tyron) Je ne mettrai pas de majuscule à nature. N'a-t-elle pas déjà assez de prestige ? Et pour quels faits, pour quels gestes, le lui accorde-t-on ? Aucun ! Voyez simplement qu'elle autorise, sauvage, la monstruosité ! Êtes-vous trop abatardis pour ne pas vous étonner de ce que cet arbre-ci, au milieu de ce verger gorgé d'oranges et de parfums du soleil, se voit recevoir, pour unique lot, l'infécondité incurable ? C'est la nature qui la première donnât à ce monstre sa possibilité d'être.

Ô, comme je pleure sous ton feuillage, arbre idiot. Comme je tremble lorsque je vois tes racines puiser à mes larmes une amertume plus douce que ta sève.

Indifférente nature, oublieuse nature. D'une paupière à peine ouverte, tu meus les choses, et tu graves dans l'éternité le malheur de cet arbre. Oui ! Dans l'éternité ! Cet arbre infécond, lorsqu'aura tourné le ciel de sa vie, plus rien ne chantera à son ombre. Et cette ombre, aussi légère qu'elle puisse être, sera la marque éternelle de ton insouciance. Puisque ce monstre eût pu ne jamais voir le jour, tandis que, désormais, et pour l'éternité, cette ombre ne peut plus ne pas avoir été l'ombre d'un monstre. 

Ah, nature, comme je te corrigerai bien ! Comme j'ordonnerai à tes paupières l'ouverture maximale, comme les pêcheurs aux huîtres du fond des mers ! Comme je plierai les muscles de ta nuque pour que s'éclaircisse devant ta face nouvelle l'opaque flot de l'abysse, où sédimentent en couches incestueuses les miasmes coulés de ta lèvre dormante ! Vois bon sang ! Comme tu fais le mal là où je veux le bien !

(Nature) Ta gueule, Tyron. J'ai les yeux bien ouverts. Je ne fais pas de monstre. Alors, Tyron, ferme bien ta grosse gueule pleine de dents !

***

Étrange chose. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle intervint. Gloire lui soit rendue. Pour ma part, j'ai jeté le cadavre de l'ours aux cuves d'un centre de traitement des eaux usées.
S. D.

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