mardi 5 août 2014

Aristote - Les Catégories (6)


Structure de l'ouvrage
  1. Homonymes, synonymes, paronymes
  2. Des différentes expressions
  3. Prédicats, genres et espèces
  4. Catégories
  5. Substance
  6. Quantité
  7. Relation
  8. Qualité
  9. Les autres catégories
  10. Opposés
  11. Contraires
  12. Priorité ou antériorité
  13. Simultanéité
  14. Mouvement
  15. Possession
Ce billet résume et commente le chapitre 6. Une version bilingue grec-français du texte original est disponible ici.

6. Quantité

    (a) Quantités proprement dites


Aristote soutient que les quantités proprement dites se répartissent de la manière suivante:
  • quantité discrète : le nombre (arithmos, ἀριθμος), la parole (logos, λόγος).
  • quantité continue : 
    • rapport mutuel de position : le point (stigmè, στιγμή), la ligne (grammè, γραμμή), la surface (epiphaneia, ἐπιφάνεια). 
    • pas de tel rapport : le temps (chronos, χρονός) et l'espace (topos, τόπoς).

Regardons cette classification plus en détail. D'abord, Aristote distingue deux types de quantités: discrète ou divisible (diôrismenon, διωρισμένον) d'une part, et continue ou "d'un seul tenant" (suneches, συνεχές) d'autre part. Il me semble que cette distinction est analogue à la distinction moderne, chez les mathématiciens, ou plus précisément, les topologistes, entre les espaces discrets, constitués de points isolés, et les espaces "continus" dont aucun des points, justement, n'est isolé. Rapidement, un point est isolé lorsqu'il est possible de tracer une frontière qui le sépare complètement du reste, il est l'unique point  derrière cette frontière.

Lorsqu'on prend un sac de billes, il est possible d'isoler un certain nombre de billes, et de les séparer des autres. En cela, ce sac de billes forme une quantité discrète pour Aristote. En effet, le philosophe énonce que les parties (moria, μόρια) d'une quantité discrète sont séparées, qu'elles n'ont aucun point de contact, de terme commun (koinos oros, κοινὸς ὅρος).

Au contraire, lorsqu'une ligne nous est donnée, Aristote nous dit qu'il est possible d'assigner un terme commun où aboutissent ses parties: le point. Autrement dit, si je veux couper ma ligne en deux, je dois d'abord désigner un point de rupture où se rejoignent les deux parties. Le philosophe ajoute qu'il en est de même pour la surface, le corps, le temps et l'espace. Dans tous ces exemples, il y a l'idée que la quantité forme une chose d'un seul tenant, i.e., un objet dont on ne peut séparer les parties sans y découper d'abord un lieu commun où celles-ci se rejoignent.

Ensuite, Aristote opère une seconde distinction parmi les quantités continues. Pour certaines, leurs partie entretiennent un rapport mutuel de position (ek thesin pros allèla, ἐκ θέσιν πρὸς ἀλλήλα). Par exemple, les parties de la lignes (ou de la surface, ou de l'espace, etc.) ont un rapport de position, puisqu'elles occupent des lieux distincts. Pour d'autres quantités, au contraire, les parties n'ont pas un tel rapport. C'est le cas du nombre, du temps. Il me semble qu'Aristote veut dire que leurs parties ne se voient pas assigner des lieux distincts; en tout cas, pas d'une manière évidente. Par exemple, les parties du temps n'étant pas permanentes (hupomenon, ὑπομένον), elles ne sauraient, selon le Stagirite, avoir des positions (theseis, θέσεις).

Il y a bien des choses, autres que les exemples cités au premier paragraphe ci-dessus, qui sont également appelées quantités. Seulement, elles le sont par accident (kata sumbebèkos, κατὰ συμβεβηκός). C'est-à-dire que le fait qu' une telle chose soit une quantité n'est pas une propriété intrinsèque, mais tient au fait qu'elle est en relation avec l'une des quantités proprement dites. Par exemple, Aristote cite le cas d'une action (praxis, πρᾶξις) qu'on dit longue parce que le temps écoulée lors de sa réalisation est grand. Dans ce cas, l'action est "occasionnellement" une quantité, c'est-à-dire, par accident; elle renvoie au temps, qui, lui, est une quantité proprement dite.

    (b) Absence de contraire

Aristote soutient que, comme la substance, la quantité n'a pas de contraire. Il remarque qu'on dit pourtant que beaucoup (to polu, τὸ πολύ) est contraire à peu (to oligon, τὸ ὀλίγον), ou encore grand (to mega, τὸ μέγα) à petit (to mikron, τὸ μικρόν). Mais il précise que ce ne sont pas là des quantités, mais des relatifs, c'est-à-dire, des instances de la catégorie Relation (pros ti, πρὸς τί). En effet, Aristote remarque qu'on dit quelque fois qu'une montagne est petite, ou qu'un noyau est grand. Mais c'est parce qu'implicitement on compare la chose en question à une chose du même genre (homogenos, ὁμογενός): telle montagne est petite relativement à telle montagne, tel noyau est grand relativement à tel noyau. Les deux termes grand et petit se distinguent par rapport à un autre terme, une référence commune. Ainsi comprend-on que grand/petit, nombreux/rares sont des relatifs.

Aristote ajoute que, même si on admettait que grand et petit puissent être des quantités, ces termes ne formeraient pas un couple de contraires pour autant. En effet, supposons que A soit plus grand que B et B plus que C. Il faut admettre alors que B est simultanément petit et grand, puisqu'il est petit relativement à A, et grand relativement à B. Or une chose ne peut recevoir les contraires simultanément, donc petit et grand ne forment pas un couple de contraire. Aristote ajoute également qu'une chose qu'on ne peut pas saisir en soi (kath'auto, καθ' αὑτό), et qui est toujours en rapport avec une autre (pros heteron, πρὸς ἕτερον), ne peut pas avoir de contraire.

C'est relativement à l'espace (topos, τόπος) que la quantité semble (dokei, δοκεῖ) avoir des contraires. Le haut est le contraire du bas, et cet exemple constitue la figure principale des contraires, car deux choses dans un même genre sont contraires lorsqu'elles sont séparées par la plus grande distance possible. On notera au passage ce renseignement sur les contraires: un couple ne peut former un couple de contraires qu'à l'intérieur d'un genre commun, et ils y occupent, d'une certaine façon, des positions ``diamétralement opposés'', comme le haut et le bas.

    (c) La non-applicabilité du plus et du moins

La quantité n'est pas susceptible de plus et de moins. Une chose de 2 coudées n'est ni plus ni moins qu'une autre chose de 2 coudées. De même 3 n'est ni plus ni moins 3 que 5 n'est 5.

    (d) Le propre de la quantité

Finalement, Aristote affirme que le propre de la quantité est qu'elle peut être dite égale (ison, ἴσον) ou inégale (anison, ἄνισον). Le couple égal/inégal ne doit pas être confondu avec le couple semblable (homoios, ὅμοιος) / dissemblable.

Ceci termine le propos sur la catégorie de la quantité.
Scons Dut

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