mardi 26 novembre 2013

Aristote - Les Catégories (5) [f]

Structure de l'ouvrage
  1. Homonymes, synonymes, paronymes
  2. Des différentes expressions
  3. Prédicats, genres et espèces
  4. Catégories
  5. Substance
  6. Quantité
  7. Relation
  8. Qualité
  9. Les autres catégories
  10. Opposés
  11. Contraires
  12. Priorité ou antériorité
  13. Simultanéité
  14. Mouvement
  15. Possession
Ce billet résume et commente le chapitre 5. Une version bilingue grec-français du texte original est disponible ici.

5. Substance

    (f) La substance comme réceptacle des contraires

Dans cette dernière section, j'examine ce qui, selon Aristote, constitue l'aspect le plus propre (idios, ἴδιος) à la substance, ce qui ne revient qu'à elle. Cet aspect s'énonce de la façon suivante: la substance, tout en restant identique (tautos, ταὐτός) et numériquement une (hen arithmôi, ἓν ἀριθμῷ), peut recevoir (einai dektikon, εἶναι δεκτικόν) les contraires (enantiôn, ἐναντίων).

Commençons par un exemple. Cet homme-ci peut être tantôt assis, tantôt debout, ou bien tantôt chaud, tantôt froid, ou encore tantôt sain, tantôt malade. Dans tous ces cas, il s'agit toujours du seul et même homme, ce dernier éprouve simplement un changement qui le fait aller d'un contraire à l'autre.

Le fait que ce soit la substance qui éprouve le changement est important, car d'autres choses peuvent recevoir les contraires. Aristote cite l'exemple de la parole (logos, λόγος) ou l'opinion (doxa, δόξα). Imaginons un homme assis, et examinons la proposition ``cet homme est assis''. Lorsque cet homme est assis, cette proposition est vraie, mais dès qu'il se lève, cette proposition devient fausse. Ainsi, on pourrait croire que cette proposition partage avec la substance le fait de recevoir les contraires, puisqu'elle reçoit tantôt le vrai, tantôt le faux. Sauf que dans cet exemple, ce n'est pas la proposition qui éprouve le changement mais cet homme-ci qui est tantôt assis, tantôt levé. La proposition, elle, n'éprouve aucun changement. Le support du changement est la substance (première ici) ``cet homme''.

Aristote n'en dit pas plus à propos de ce dernier aspect, et j'avoue que je reste assez perplexe. Il me semble que l'argument développé par Aristote est lié à la notion de changement (on retrouve dans le texte le verbe gignomai, γίγνομαι, je deviens, ainsi que metaballô, μεταβάλλω, je change). Car lorsqu'on dit qu'une substance peut recevoir, par un changement en elle-même, des contraires, on ne dit évidemment pas qu'elle peut recevoir les contraires en même temps. Cet homme-ci ne peut être à la fois debout et assis, mais peut être tantôt assis, tantôt debout. Et pourtant, il s'agit toujours du même et unique homme. Il semble donc qu'il se joue ici tout le problème de la permanence de l'identité à travers le changement. En d'autres termes, je dirais que ce qui assure qu'une chose est une substance est ce par quoi cette chose peut-être dite identique à elle-même à travers le changement, ce changement étant éprouvée en elle-même et pas en une autre chose.

Mais je ne peux m'empêcher à la fameuse histoire du bateau de Thésée. Voici ce que rapporte Wikipedia. D'après la légende grecque, rapportée par Plutarque, Thésée serait parti d'Athènes combattre le Minotaure. À son retour, vainqueur, son bateau fut préservé par les Athéniens: ils retiraient les planches usées et les remplaçaient - de sorte que le bateau resplendissait encore des siècles plus tard. La question est de savoir si, lorsque toutes les pièces ont été remplacées, il s'agit du même et unique bateau. En somme, ce bateau de Thésée est-il la substance première ``ce bateau de Thésée'' ?

Conclusion

Les questions évoquées ci-dessus nous entraîneraient hors du cadre de l'ouvrage étudié ici, et je n'irai donc pas plus loin. Quoiqu'il en soit ce billet clôt le chapitre consacré à la catégorie de la Substance. Pour résumer, les substances partagent une fonction de support (hupokeimenon) qui admet (au moins) deux modes: le mode kath'hupokeimenou, le mode en hupokeimenôi. Le mode kath'hupokeimenou permet d'organiser les substances en une hiérarchie de classes (espèces et genres), les substances premières étant aux fondements de cette hiérarchie. Le mode en hupokeimenôi, lui, ne s'applique à aucune substance, c'est-à-dire qu'aucune substance n'est dans une chose. Cet aspect n'est cependant pas propre à la substance (la différence, diaphora, διαφορά, également ne peut pas être dans une chose). Par ailleurs, la catégorie de la Substance entretient un rapport étroit avec le réel, dans la mesure où une substance première désigne toujours un élément singulier réel (tode ti, τόδε τι), tandis qu'une substance seconde désigne une collection synonymique d'éléments réels et singuliers qui sont semblables relativement à la définition de cette substance seconde. De plus, une substance (première ou seconde) n'admet pas de contraire, et ne peut pas être plus ou moins ce qu'elle est déjà. Enfin, ce qui est propre à la substance est le fait de pouvoir recevoir des contraires tout en restant identique et numériquement une.

En ce qui concerne la catégorie de la Substance, voilà qui est dit.
Scons Dut

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire